**This event will take place in French**
*We are so excited to welcome the general public back to most events at La Maison Francaise of NYU. Please note that NYU requires all visitors to provide official proof (in English) that they are fully vaccinated and boosted against COVID-19 along with a valid photo ID. NYU Community: please be prepared to show your Violet Go pass.
Maxime Decout:
Pour le mauvais lecteur
RSVP in-person HERE
Zoom HERE
Le lecteur modèle ou idéal est depuis longtemps une vedette. On a tant écrit sur lui qu’on connaît désormais fort bien les conditions d’une bonne lecture. Mais cet engouement a laissé dans l’ombre toute une population de lecteurs qui n’ose pas toujours se présenter au grand jour et qui éprouve parfois une forme de honte ou de culpabilité : les mauvais lecteurs. Ne vous est-il pourtant pas arrivé de discuter d’un livre avec un ami et de constater que vous n’en aviez pas cerné toutes les finesses ? Pire : que vous aviez fausse route sur sa signification ? N’avez-vous jamais refermé une œuvre en avouant que vous n’avez en réalité aucune idée de ce qu’elle peut bien vouloir dire ? Rares sont en effet les lecteurs qui peuvent se targuer de n’avoir jamais commis la moindre erreur d’interprétation, de ne s’être jamais laissé emporter par leurs partis-pris, leurs jugements, leurs passions, de n’avoir jamais pensé à tout autre chose qu’au livre qu’ils étaient en train de lire, de n’avoir jamais sauté une seule page. Il y a fort à parier que ces lecteurs exemplaires ne soient que des exceptions – si ce n’est un myth
Or, à ne considérer la lecture que du point de vue de ses plus brillantes réalisations, on court le risque d’appauvrir nos modes de fréquentation des œuvres qui ne relèvent pas systématiquement d’une authentique coopération avec elles. Aller à rebours de ce que le livre exige de vous, se laisser guider par ses fantasmes et ses préjugés, dénaturer le texte : toutes ces attitudes disent aussi quelque chose de notre rapport aux œuvres.
Sur ce chapitre, la littérature ne se fait aucune illusion. Un bref regard sur les personnages de lecteurs qu’elle met en scène le confirme : elle regorge bien plus de lecteurs capricieux, désinvoltes, colériques, hypocrites, interventionnistes, déchaînés, désinhibés que de lecteurs dociles et appliqués. Elle nous renseigne sur les richesses ignorées et surprenantes de la mauvaise lecture. Il s’agirait donc de fréquenter plus assidûment les mauvais lecteurs que nous offrent les œuvres. Ceux-ci devraient nous déculpabiliser face à nos propres manières de lire. Et une fois que vous vous serez familiarisé avec leurs pratiques, vous serez forcé de l’admettre : la mauvaise lecture est très souvent une excellente manière de lire.
Maxime Decout
Maxime Decout est professeur à l’université de la Sorbonne et membre junior de l’IUF. Il est l’auteur de plusieurs essais dont Albert Cohen : les fictions de la judéité (Classiques-Garnier, 2011), Écrire la judéité (Champ Vallon, 2015) et l’Album Romain Gary (Bibliothèque de la Pléiade, 2019). Il a participé à la publication des œuvres de Perec dans la Pléiade (2017) et a publié aux Éditions de Minuit un ensemble de quatre essais qui interrogent les relations entre authenticité, mensonge, écriture et lecture : En toute mauvaise foi (2015), Qui a peur de l’imitation ? (2017), Pouvoirs de l’imposture (2018) et Éloge du mauvais lecteur (2021).