Mai 68 continue d’être interprété de manières très différentes et souvent contradictoires en France. Si certains l’ont considéré comme une révolution anticapitaliste, héritage des luttes ouvrières du XIXe siècle, d’autres y ont vu l’avénement triomphal de l’individualisme contemporain. Pour ces derniers, Mai 68 aurait annoncé le néolibéralisme. Ces deux interprétations opposées ratent la singularité de l’événement de 68 et se méprennent sur la période néolibérale suivante.
Michel Foucault et Pierre Bourdieu ont sans doute mieux que d’autres saisi le lien entre Mai 68 et le néolibéralisme tel qu’il a été promu dès les années 1970 en France sous la présidence de Valery Giscard d’Estaing. L’un y a vu l’introduction d’une nouvelle manière de gouverner pour répondre à une « crise de gouvernementalité » généralisée dont Mai 68 a été l’expression. L’autre a montré que le néolibéralisme est une « révolution conservatrice » qui a su reprendre à son compte les thèmes et les aspirations au « changement » et à la « rupture » que Mai 68 avait mis en avant. Les mésinterprétations de 68 et les détournements de sa signification ont quelque chance de céder aujourd’hui si l’on remarque le fil qui existe, par delà les générations, entre l’imaginaire de 68 et les mobilisations contemporaines qui veulent mettre en pratique une « vraie démocratie » et les multiples expérimentations qui se réclament des « communs ».
Christian Laval is Professor of Sociology at Université Paris-Nanterre. He is the author of numerous books, among them: L’école n’est pas une entreprise; L’Homme économique; L’Ambition sociologique; and, with Pierre Dardot, La Nouvelle Raison du monde (translated into English as The New Way of the World, On Neoliberal Society); Marx, Prénom: Karl; Commun; and, more recently, Ce cauchemar qui n’en finit pas; and L’Ombre d’octobre.
In French
Institute of French Studies Lecture